Rencontres, What's up ?
Topologies – Contes d’Athènes
Rencontre avec Joanna Dunis
Écrit par Julie-Anne Amiard
21 février 2024
Topologies – Contes d’Athènes, c’est une lecture de trois heures, le temps d’un vol Paris/Athènes. Rencontre avec Joanna Dunis, l’autrice de ce recueil délicat, sensible, à fleur de peau, dans lequel l’émotion côtoie la force. Une histoire qui fait écho à la nôtre. Athènes comme une révélation, une évidence. Athènes séduit, Athènes charme, Athènes ensorcelle.
Poèmes mis en image par Joseph Paris et en son par Alejandro Van Zandt-Escobar, tourné à Athènes : https://vimeo.com/manage/videos/826648851
P/A. Parlez-nous d’Athènes, tout simplement, très librement.
Athènes est une ville que j’ai découverte presque par hasard, il y a moins de 10 ans. Je n’y avais aucune attache : ni racines familiales, ni amis, ni travail, ni amour, ni habitudes de vacances, ni fantasmes – et elle ne m’avait jamais appelée avant que j’y passe une poignée d’heures, en escale. Parfois, les lieux nous parlent, ils résonnent sans que l’on ne sache exactement pourquoi. Après 5 heures à déambuler au hasard dans le centre-ville, j’ai su que cette ville était mienne et j’y suis retournée quelques semaines, pour voir. Quand je m’y suis finalement installée, je n’avais toujours aucun ancrage sur place, et j’ai découvert les ressorts de la ville – ses coulisses, ses impasses, ses complexes, ses cicatrices en plus de tout le beau, le solidaire, le bon et le chaleureux que j’avais pressentis, sans tout saisir. J’ai passé les mois et les années qui ont suivi à écouter, observer et tenter de comprendre cette ville en sortie de crise, fragile – comme en miroir de ma propre reconstruction. Pour moi, Athènes restera la ville qui n’aurait pas dû être, mais celle qui m’a offert une topographie nouvelle, et l’espace-temps de l’écriture poétique. En cela, elle m’est devenue nécessaire et j’y retourne très souvent comme un refuge depuis que je suis revenue vivre à Paris. J’ai appris à tout aimer d’elle, même ce que j’y déteste : j’ai fait le choix d’Athènes en écriture, devenue une de mes villes-matrice. Mon recueil TOPOLOGIES – Contes d’Athènes rend hommage à ses rues et ses évocations à chaque page et tisse des liens avec mes autres lieux, mes autres vies.
P/A. Quelle est votre histoire, pourquoi ce recueil ?
J’ai presque toujours vécu comme Française à l’étranger, dans de grandes villes cosmopolites (Londres, Paris, Moscou). Je n’aime pas les appartenances et les identités figées ou monolithiques : mon parcours de vie n’est pas très linéaire non plus. Disons que l’écrit du réel et l’ailleurs sont très vite devenus deux référents essentiels, autour desquels j’ai tourné, dans des formes diverses. Parmi celles-ci, l’écriture documentaire – entre films et guides de voyage – me permet de saisir le réel, creuser l’ailleurs et gagner ma vie.
En 2015, un éditeur de voyage m’avait chargée de mettre à jour un guide sur les îles du Dodécanèse : j’avais d’abord refusé par désintérêt avant d’accepter devant son insistance. En escale à l’aéroport d’Athènes, j’ai décidé de laisser mes bagages à la consigne et de faire un tour en ville – j’ai su que je voulais m’y installer après cela. Mais au moment de passer le cap et de déménager à Athènes sans y connaître personne – et sans en parler la langue, ce que je n’avais jamais fait auparavant – j’ai vécu un double déracinement, à la fois intime et géographique.
Une semaine après mon arrivée dans la ville, je repartais enterrer mon père dont nous savions la fin proche depuis longtemps. J’avais repoussé plusieurs fois mon départ et puis j’ai décidé de vivre, plutôt que d’attendre la mort : il a attendu mon départ pour se décider enfin à partir.
Le déracinement s’est joué également dans le territoire car les premiers temps de mon installation à Athènes, je n’ai passé que quelques jours à peine dans la ville, mon travail d’autrice de guides m’envoyant sur les routes plus souvent encore que d’habitude cette année-là. Je pense que pour saisir ce flottement, pour ancrer quelque chose dans le réel de cette première année, il m’a fallu écrire, noter les impressions.
Le déracinement était également linguistique : ma démarche par défaut est de recueillir les récits des autres pour les transmettre, les traduire. Ne parlant pas le grec, j’ai été forcée de me tourner vers mon récit à moi, ma langue à moi. Et j’ai écrit en créant une langue nouvelle, que je me cachais jusqu’à là – celle de la poésie. Au fil des années, le déboussolement a fait place à de nouveaux piliers de vie, portés par des Elles – figures féminines mythiques littéraires ou amies qui essaiment ces pages et prennent progressivement de l’ampleur, à mesure que le récit avance. C’est ainsi qu’est né mon premier recueil de poèmes TOPOLOGIES – Contes d’Athènes et qu’il a pu fleurir.
P/A. Quels sont vos quartiers de prédilection ? Vos restaurants ? Vos cafés ? Vos habitudes ?
En arrivant à Athènes, j’ai débarqué dans un rez-de-chaussée morne à Kolonaki : j’ai détesté cet appartement et la vie que me proposait le quartier à mes débuts. A part le café et la place de Dexameni qui m’offraient toujours un havre et que j’aime retrouver à chaque fois que je suis en ville, je me sentais enfermée dans le quartier. Rapidement, j’ai dû trouver un logement plus permanent et j’ai voulu vivre à Kipseli qui n’était pas encore le quartier branché qu’il est devenu depuis. On m’a fait comprendre que personne ne viendrait m’y voir et qu’il valait mieux rester plus dans le centre. Je me suis pliée à cette doxa, tout en sachant très bien que Kipseli serait bientôt un quartier couru : aujourd’hui, j’aime m’y rendre sur les terrasses sans intérêt de Fokionos Negri, pour regarder passer le monde.
Mais mon quartier de prédilection est et restera Pagkrati. C’est là que j’ai posé mes bagages et que j’ai vécu toutes ces années. Une des raisons qui avait guidé mon choix : la proximité de tout et l’ambiance décontractée du quartier. Malgré la fulgurance de la gentrification qui a eu lieu au fil des ans, j’y ai toutes mes habitudes : la Sainte-Trinité des places Proskopon, Varnava et Mesologgiou concentrent certaines de mes adresses fétiches dont Materia Prima pour boire un bon verre de vin ou Mavros Gatos pour des côtelettes d’agneau savoureuses. Mon bureau se trouve derrière les baies vitrées du Rizzari café qui m’a accueillie des journées entières pendant la rédaction de mes guides, je ne serais rien sans les freddos de mon ami barista Christos Branis à Rule of 4m. J’adore acheter des habits seconde main, au marché, sur Archimidous, Athènes serait différente sans la librairie-amie Lexikopoleio et le cinéma rétro Oasis. J’aime prendre l’apéritif sous le platane du bien-nommé Apéritif, et me ressourcer sur les hauteurs du stade Kallimarmaro ou dans les allées calmes du cimetière de Mets… La liste est longue – à Pagkrati mais aussi ailleurs, dans les quartiers de Petralona ou sur les collines de Filopappou et du Lycabette…
Joanna Dunis présentera son recueil de poésie publié aux éditions Le Castor Astral et en fera une lecture à la librairie Free Thinking Zone. La poétesse grecque Maria Patakia sera également présente. La discussion entre elles deux se déroulera en français. Il y aura une traduction.
Où : Librairie Free Thinking Zone, Skoufa 64 str & Grivaion
Quand : samedi 2 mars, 12h30-14h30
Pour en savoir plus sur Joanna Dunis, cliquez ici: https://joannadunis.com/topologies/
Crédits photos Jonna Dunis