D’un côté, au 5 rue de Verneuil, le musée propose une plongée dans l’œuvre et la vie de Serge Gainsbourg, de l’autre au 14 rue de Verneuil se cache un lieu hybride composé d’un musée, d’une librairie-boutique et du Gainsbarre, café en journée et piano-bar en soirée. Une proposition unique.
Dédiée à la transmission de l’œuvre de Serge Gainsbourg, la Maison Gainsbourg est une nouvelle institution culturelle qui propose une expérience sur deux sites distincts rue de Verneuil à Paris (7ème). Au 5 bis, la maison historique dans laquelle Serge Gainsbourg a vécu pendant 22 ans, intérieur légendaire conservé intact depuis sa disparition en 1991. En face, au numéro 14, un musée retraçant la vie et la carrière de l’artiste, une librairie-boutique et le Gainsbarre, café et piano-bar, permettent de prolonger la visite.
Immersion
A gauche. Serge Gainsbourg
A droite. Façade du 5 bis rue de Verneuil
A gauche. Collection permanente
A droite. Vue de la première exposition temporaire : “Je t’aime… moi non plus”
A gauche. Collection permanente, veste vintage à rayures de tennis
A droite. Le Gainsbarre (1980 couverture de Rock & Folk, photographie par Jean-Baptiste Mondino)
Le Gainsbarre, café et piano bar
A gauche. Profil de Serge Gainsbourg en néon au 14 Rue de Verneuil
A droite. Cocktail triple G. Jus ananas vert clarifié, orgeat, kombucha Vivant, Verveine et fleur d’oranger. Garnish ananas déshydraté.
Lettre de Charlotte Gainsbourg
Paris 7ème. 5 bis rue de Verneuil. Un hôtel particulier. Pas n’importe lequel. Son hôtel particulier. Mon père. Sa vie. Ses femmes, ses enfants, sa famille, ses amis. Son œuvre.
Lieu de vie. Lieu d’inspiration, de création.
Plusieurs époques se déclinent.
Fin 60. Mon père rencontre ma mère à Paris. Il vient d’acheter une maison à une adresse qui s’est imposée dès le départ. Une lubie. Les travaux ont commencé. Ils s’installent à trois. Ma mère, mon père et Kate, la fille de ma mère et de John Barry.
Les années 70. Ma naissance. Une vie de famille sans doute pas ordinaire. De mon point de vue, simplement une vie à quatre.
Puis leur séparation. Les années 80. Vient une nouvelle femme. Bambou. Mes visites du weekend. La naissance de Lulu. Et peu à peu sa vie de célibataire, fin 80 début 90. La mort de mon père en 91.
De « Melody Nelson » à « You’re Under Arrest ». Les murs ont vécu. Ses habitudes. Son goût du détail. Esthète. Maniaque. Sa solitude aussi. Un lieu auquel il tentait d’échapper en faisant des séjours réguliers à l’hôtel Raphaël, à quelques minutes en taxi. Une respiration face à ce lieu chargé de souvenirs.
Et aujourd’hui ? Je me souviens.
L’enfance, un peu à l’écart… dans la nursery. Le salon n’est qu’une pièce qu’on traverse, Kate et moi. Les sons du piano sont lointains. Après la séparation de mes parents, j’ai une deuxième vie. Celle des weekends chez mon père. Des habitudes de petite fille gâtée. On regarde des films en boucle sur son grand écran au pied du lit. Filmographie sélectionnée avec passion. Le cinéma américain. Des cassettes imports sans sous-titres qu’il est fier d’acheter sur les Champs-Élysées. Les westerns, les Laurel et Hardy, les Chaplin, les films d’horreur, les vieux Disney, les comédies italiennes aussi. On dort à trois dans son lit de 2 mètres sur 2. Bambou au milieu.
Mon père se réveille tard, très tard. Mais je connais, je suis habituée. La rue de Verneuil dans le silence du dimanche matin. Les BD à feuilleter dans son bureau, allongée sur la moquette. La machine à écrire électrique sur laquelle pianoter. Le nouveau jeux vidéo qu’il m’a acheté ce weekend au drugstore Saint Germain et qu’on a installé dans « la chambre des poupées ». Jeu Atari du moment où on se relaye lui et moi pour battre nos records respectifs. Il y aura joué jusque tard dans la nuit. Je découvre le score à battre à mon réveil et j’enrage.
Il se lève. Les pieds nus sur le carrelage du salon. Le jean effilé aux chevilles. Sa boîte de kleenex posée à sa droite sur le canapé. Un café. Une autre gitane à allumer. Le bruit du Zippo. Il ouvre sa mallette, « l’attaché case » que ma mère lui a offert. Elle est remplie de billets de 500 francs. Je regarde ça les yeux exorbités. Il m’en file un. Je cours voir les dames du tabac de la rue des Saints-Pères. Elles ont l’habitude. C’est ma mission. Lui rapporter toute la presse dans laquelle il figurerait et les quelques quotidiens obligatoires. Plus une cartouche de gitanes, de l’essence à Zippo, parfois une rame de papier. Pas n’importe lequel. Celui avec la femme en médaillon dessus. Et avec la monnaie ? Des bonbecs. Autant que je veux.
Il prévoit le programme. Un resto à déjeuner. Un autre à diner. Et entre les deux, Bambou m’emmène faire mes trucs de gosse. À notre retour, on le retrouvera dans la même position. Assis sur son sofa, dos aux fenêtres, au milieu du salon. Ce sofa qui a aujourd’hui encore la marque de ses fesses.
En 1991, mon père meurt. Je me sens le devoir de garder ce lieu tel quel. De toute manière la peine est trop immense pour avoir le courage de toucher à quoi que ce soit.
Pour moi, cela devient un lieu de culte, de pèlerinage, de mémoire. Je tourne la clé, j’entre. Je referme la porte derrière moi. Le temps s’est arrêté. Je m’autorise un voyage dans ma mémoire. Les odeurs sont restées. J’entretiens le souvenir. Dans le silence. Parfois j’entends des murmures venant de la rue.Ces gens, ces fans, qui ont fait le chemin jusqu’ici, qui défilent devant les graffitis, qui écrivent et dessinent à leur tour.Ce public, j’ai tout de suite imaginé le faire entrer. Leur ouvrir la porte. Comprendre le plaisir qu’ils auraient à découvrir ce décor. Cette envie, je l’ai dès le début, en 91, mais je suis confrontée à des mesures de sécurité trop compliquées pour envisager un lieu public. La maison est si petite. Avec du recul, je pense que le projet n’était pas assez mûr dans ma tête. Cet écrin, ce jardin secret, il était à moi toute seule. J’avais sans doute besoin de ces trente et quelques années pour réellement me faire à l’idée de « le » partager… Aujourd’hui je vous invite à plonger ainsi dans ce monde plein « d’histoire ». Des pièces de vie, chargées, remplies d’objets choisis, achetés, offerts, chacun lié à une époque différente. Un souvenir, un album, un film, un moment de sa vie. Moments incarnés par ses musiques que nous connaissons, par sa voix. Un personnage public qui aujourd’hui retrouve son cadre, son ambiance, son essence. J’espère proposer au public, une expérience à part, qui donnera peut-être une nouvelle écoute à son œuvre. Une expérience si possible à la hauteur de ce qu’il nous a laissé.
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Maison Gainsbourg, 5 et 14 rue de Verneuil. Paris 7e.
© Alexis Raimbault pour la Maison Gainsbourg, 2023 – © Portrait de Serge Gainsbourg Tony Frank, 1985 – Portrait de Charlotte Gainsbourg, habillée en Saint Laurent par Anthony Vaccarello © Jean-Baptiste Mondino, 2023